Pierre Guéroult : de la campagne normande au centre de Paris

Je vous propose de suivre le parcours mystérieux de l'un de mes ancêtres, qui exerça plusieurs métiers et quitta sa Normandie natale pour la capitale.

Enfance et mariage dans le Pays de Bray

Dirigeons-nous vers Esclavelles, un village d'environ six cents habitants dans le Pays de Bray, au nord-est de Rouen. C'est là que Pierre Guéroult voit le jour, le 19 décembre 1777. Premier enfant de Pierre Guéroult et Marie Angélique Apolline Accard, il reçoit le prénom de son père et de son grand-père, qui est aussi son parrain.

Son père décède prématurément en 1786, à l'âge de trente-huit ans, alors que sa mère attend son cinquième enfant. Elle se remarie près d'un an plus tard avec Nicolas Marie Carpentier, un jeune homme âgé de dix ans de moins qu'elle. Le couple a trois enfants.

On retrouve trace de Pierre Guéroult dans les archives à la période révolutionnaire, pour son mariage. Le 13 Fructidor de l'An VI, en 1798, il épouse, à l'âge de vingt ans, Catherine Savalle, une jeune femme de trente ans originaire d'un village voisin. Le couple a sept enfants, dont certains portent des prénoms inspirés de Napoléon et de l'Antiquité. Après Marie Clarisse, Pierre et Marie Céleste, naissent Hypolite Napoléon, Adèle Joséphine, Auguste Alexandre et Germain Maximin (évoqués dans mon précédent article Joséphine : un prénom "impérial").


1798-1807 : Herbager à Esclavelles

Le Boeuf par Leprince
Le Bœuf, estampe de Jean-Baptiste Le Prince, 1771.
Bibliothèque Nationale de France (disponible sur Gallica

La première profession de Pierre Guéroult est herbager, comme son père, son beau-père, son grand-père et son arrière-grand-père. C'est un métier courant dans la campagne du Pays de Bray, au sol réputé pour la qualité de ses pâturages, avec son sol argileux et sourceux, propice à l'élevage laitier et à la production de fromages.

L'herbager est un éleveur qui engraisse des bovins dans un pré, comme le précisent les dictionnaires de l'époque : 

Herbage : "se dit plus particulièrement d'un pré qu'on ne fauche jamais, & qui ne sert qu'à y mettre des boeufs & des vaches pour les engraisser." selon le Dictionnaire de l'Académie française de 1762.

Années 1810 : Percepteur à Maucomble

Le Charivari, 6 octobre 1840 (disponible sur Retronews)

Vers 1810, la famille Guéroult quitte Esclavelles pour le village voisin de Maucomble. Pierre change de profession pour entrer au service de l'administration du Premier Empire en tant que percepteur.

Le percepteur est "celui qui est commis, préposé pour la recette, pour le recouvrement de deniers, de fruits, de revenus, d'impositions." selon le Dictionnaire de l'Académie française de 1798. 

C'est l'occasion de se plonger dans l'histoire de la fiscalité et des impôts... Une série de réformes entreprises sous le Directoire et le Premier Empire met en place un nouveau système fiscal qui perdurera jusqu'au début du XXème siècle. Les principaux impôts directs sont appelés les "quatre vieilles" : la contribution foncière, la contribution personnelle mobilière, la patente (pour l'industrie et le commerce) et l'impôt des portes et fenêtres. De nombreuses contributions indirectes sont aussi créées : droits sur le tabac, les boissons, le sel, droits d’enregistrement, de timbre et de douane...

Le recouvrement des impôts directs est assuré au niveau départemental par des receveurs généraux, qui ont sous leurs ordres des receveurs particuliers placés dans les arrondissements, ainsi que des percepteurs qui effectuent des tournées dans les communes pour collecter les contributions. Les percepteurs ont été instaurés le 4 Nivôse an XI (14 janvier 1803) dans les communes dont les rôles dépassent 15 000 francs de contributions directes. La loi du 5 ventôse An XII stipule que l'État a le droit de nommer les percepteurs sur recommandation du préfet. Au fil du temps, leurs compétences sont définies plus précisément : à partir de 1817, le préfet doit s'assurer que les candidats possèdent une "instruction suffisante", c'est-à-dire qu'ils maîtrisent les chiffres et les calculs.

Peut-on retracer le parcours professionnel d'un percepteur ?

  • Aux archives départementales de la Seine-Maritime, la sous-série 2 P contient des dossiers relatifs à l’assiette et à la répartition de l’impôt, mais les documents conservés sur l'organisation et le personnel sont postérieures aux années 1820.
  • Le centre des archives du Service des archives économiques et financières du Ministère de l'Économie, à Savigny-le-Temple, conserve les états de service des agents du Trésor Public.

1820 : Cultivateur à Clais

Ch. Nodier, J. Taylor et Alph. de Cailleux, Voyages pittoresques et romantiques dans l'ancienne France, 1825 (disponible sur Gallica).

En 1820, Pierre Guéroult a déménagé à Clais, un village situé à une vingtaine de kilomètres de Maucomble, où il est mentionné comme "cultivateur propriétaire" lors du mariage de sa fille aînée Marie Clarisse. Son fils et ses deux beau-fils exercent tous le métier de cultivateur à Clais.

1831 : Marchand faïencier à Paris


Nature morte, tableau du XIXème siècle, musée des Beaux-Arts de Bordeaux © Lysiane Gauthier

La décennie suivante, Pierre Guéroult a quitté la Normandie. En 1831, il envoie son consentement établi devant un notaire parisien pour le mariage de sa fille Adèle Joséphine. Bien qu'il ne soit plus présent auprès de sa famille, cette dernière ne semble pas manquer de revenus : sa fille est mentionnée comme "propriétaire" et sa femme comme "vivant de son revenu". 

Pierre est "marchand fayencier", domicilié 5 rue du Haut Moulin, dans le quartier de la Cité à Paris. A-t-il un lien avec les productions céramiques du Pays de Bray (faïences populaires de Forges-les-Eaux, poteries de Martincamp...) ? 

Peut-être n'est-il pas monté seul dans la capitale ? Son frère Jean Louis, installé dans leur village natal d'Esclavelles comme marchand, a deux enfants en 1806 et 1809. On perd ensuite sa trace dans les archives. On retrouve son fils Louis Paulin dans l'État civil reconstitué de Paris. Il se marie en premières noces en 1831 avec Rose Marie Laurence Martineau. Il se remarie ensuite avec Marie Madeleine Chevallier en 1836. Il est alors "commis fayencier" dans le quartier Saint-Merri. Leur fils Charles Auguste Guéroult devient aussi faïencier.

1835 : Fabricant d'espadrilles à Paris


Extrait de la gravure "Pyrénées - Aranais à Bagnères de Luchon" d'Édouard Pingret, 1834 (disponible sur Gallica)

Trois ans plus tard, lors du mariage de son fils Auguste Alexandre, Pierre Guéroult exerce le métier de "fabricant d'espadrilles" à Paris. Ces chaussures légères en toile à semelle de corde sont originaires des Pyrénées.

Archives départementales de Seine-Maritime.

Était-il courant de porter des espadrilles à Paris à cette époque ? Lorsqu'on consulte les bases Gallica et Retronews, on constate que les espadrilles mentionnées dans la presse et les livres publiés à l'époque étaient associées aux costume traditionnel des bergers pyrénéens et des espagnols. Ce n'est que vers la fin du XIXème siècle qu'elles deviennent à la mode, notamment avec l'essor des bains de mer et du sport.

Le frère de Pierre Guéroult, Antoine, exerce le métier de cordonnier à Maucomble. Pierre Guéroult a peut-être mis à profit des connaissances acquises avec ce dernier pour se lancer dans cette activité, ou peut-être n'était-il qu'un commerçant ?

Hypothèses sur le décès de Pierre Guéroult

Lorsque sa femme meurt en 1848 à Clais chez son gendre et sa fille, Pierre Guéroult est indiqué comme "décédé à Paris". L'État civil parisien étant détruit, on peut trouver des pistes dans l'État civil reconstitué et les registres d'inhumation, qui sont indexés sur Geneanet et Filae. L'âge du défunt d'un décès mentionné dans l'Etat civil reconstitué pourrait correspondre. Un nommé Pierre Guéroult, âgé de soixante-dix ans et décédé le 6 décembre 1847 dans le Ve arrondissement, a été inhumé dans la fosse commune du cimetière de Montmartre le 9 décembre 1847.


De nombreuses zones d'ombres restent donc à éclairer sur le parcours de Pierre Guéroult : les inventaires après décès et les archives notariales pourraient révéler d'autres détails. A suivre...


Retrouvez la généalogie de Pierre Guéroult sur Geneanet.


Sources pour la fiscalité :

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Gâteau des poilus {recette de la Guerre 14-18}

Simplice Horus : un abandon à Rouen au XIXe siècle