Rose : exemple d'un prénom à la mode révolutionnaire

Lettrine R Rose

Le Challenge AZ sur les prénoms féminins continue avec Rose, un prénom à la mode sous la Révolution française, qui me permet d'aborder le sujet des prénoms dits "révolutionnaires".

Du baptême à l'état civil : liberté de choix et nouveaux prénoms

Le décret du 20 septembre 1792 institue les registres de naissance, de mariage et de décès à la charge des municipalités pour constater l'état civil. Ils remplacent les registres paroissiaux tenus par les prêtres. Selon l'article 7, "la déclaration contiendra le jour, l'heure et le lieu da la naissance, la désignation du sexe de l'enfant, le prénom qui lui sera donné, les prénoms et noms de ses père et mère, leur profession, leur domicile ; les prénoms, noms, professions et domiciles des témoins." Il n'y a plus de restriction dans le choix du prénom, qui se limitait pour les catholiques au "nom de quelqu'un qui ait mérité par l'excellence de sa piété et de sa fidélité pour Dieu", c'est-à-dire des saints, depuis le Concile de Trente, au XVIe siècle.

Apparaissent alors des prénoms "révolutionnaires", évoquant les grandes figures de la Révolution (Marat), et de l'Empire (Napoléon et Joséphine comme déjà évoqué dans un article du blog), les idéaux de la Révolution (Liberté, Egalité...), les victoires militaires (Victoire, Ostende...) ou les héros de l'Antiquité (Brutus, Xénophon, César...). Le chercheur Philippe Daumas constate que la mode des prénoms révolutionnaires est beaucoup moins marquée pour les prénoms féminins. Plus que de prénoms réellement révolutionnaires, c'est-à-dire choisis par le déclarant pour montrer son adhésion aux idées révolutionnaires, il s'agit de prénoms à la mode à l'époque, selon des tendances déjà en cours au XVIIIe siècle.

Le calendrier républicain : une inspiration pour les prénoms "naturels"

La Convention entreprend une vague de déchristianisation, qui fait disparaître le Calendrier grégorien et ses saints. Le Calendrier républicain entre en vigueur le 15 vendémiaire de l'an II (6 octobre 1793). Il débute le jour de la proclamation de la Ire République, le lendemain de l'abolition de la monarchie, le 22 septembre 1792, qui correspond au jour de l'équinoxe d'automne.
Il est issu des travaux d'une commission formée de députés, d'idéologues et de membres de l'Académie des sciences, qui eut pour rapporteur le député Romme. C'est le poète Fabre d'Eglantine qui a imaginé le nom des mois et des jours, s'inspirant du rythme des saisons et des travaux des champs.
L'habitude de consulter les calendriers et almanach pour le choix des prénoms explique que le calendrier républicain va être une source d'inspiration pour les prénoms "naturels", dans la veine du culte de la nature initié par les ouvrages de Rousseau. Il sera aussi à l'origine de quelques prénoms assez incongrus, comme Artichaut ou Consoude.

Certains prénoms traditionnels, car portés par des saints et saintes du calendrier catholique, vont connaître le succès car ils sont présents en tant que noms de fleurs dans le nouveau calendrier, comme Rose et Véronique. 

Marie Rose Véronique Cordier naît le 21 frimaire de l'an VII à Varvannes, dans le Pays de Caux. Ses deux premiers prénoms lui ont été transmis par sa mère, Marie Marguerite Rose Lubias, née en 1772. Ses prénoms Rose et Véronique sont à la fois des saintes et des noms de fleurs présents dans le calendrier révolutionnaire. 
Rose est fêtée le 1er floréal (20 avril) et Véronique le 4 Messidor (22 juin).

Extrait du Nouveau calendrier de la République française pour la 3eme année, dessiné et gravé par Queverdo. 
Bibliothèque Nationale de France (disponible sur Gallica). 

La rose et la véronique : une touche florale aux prénoms féminins
Gravure rose et véronique
P.-J. Redouté, Les Roses, 1817-1824. Bibliothèque Nationale de France (disponible sur Gallica). 
Henry Correvon, Flore coloriée de poche Correvon, dessins de A. Jobin, 1894. Bibliothèque Nationale de France (disponible sur Gallica). 

Selon Raphaël Bange, "il convient donc de ne pas confondre les prénoms en progression, fortement favorisés par le contexte de l’an II (notamment par la disparition partielle et provisoire des baptêmes religieux) et dont Rose fait partie, avec les autres prénoms plus caractéristiques qui surgissent brutalement dans l’état civil de la Révolution et représentent une réelle rupture par rapport aux pratiques antérieures."


La loi du 11 germinal an XI (1er avril 1803), sous le Consulat, revient sur la liberté de choix des prénoms, en limitant les prénoms autorisés à ceux des calendriers et des personnages connus de l'histoire ancienne (voir la polémique autour du prénom Henriette évoquée dernièrement sur le blog). Le calendrier républicain est aboli par le décret impérial du 22 fructidor an XIII (9 septembre 1805) et le calendrier grégorien reprend le 1er janvier 1806.


Retrouvez la généalogie de Marie Rose Véronique Cordier sur Geneanet.

Sources :
De nombreux articles universitaires ont été publiés sur le sujet des prénoms révolutionnaires, comme :
  • Pierre-Henri Billy, Des prénoms révolutionnaires en France, 2000 (disponible sur Persée).
  • Philippe Daumas, "Les prénoms et l'image des filles : recherches sur les prénoms féminins en Île-de-France autour de la période révolutionnaire (1775-1825)", Annales historiques de la Révolution française, Année 2000, n°322, pp. 111-132 (disponible sur Persée).
  • Raphaël Bange, "Les prénoms de l’an II et les autres : typologie des attributions de prénoms dans la France en révolution", Annales historiques de la Révolution française, p. 61-86.

Commentaires

  1. Bonjour, je suis étudiante en Kinesiologie et je fais un mémoire sur l'energie des prénoms, je tiens a vous remercier pour la qualité de votre article. Je le trouve passionnant. Bonne continuation.
    Camille

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci beaucoup, je vous souhaite des découvertes passionnantes et une belle réussite pour votre mémoire !

      Supprimer

Enregistrer un commentaire

Merci pour vos commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Gâteau des poilus {recette de la Guerre 14-18}

Simplice Horus : un abandon à Rouen au XIXe siècle